L'histoire de Beckie
L’artiste et Aînée Beckie Labillois, Mi’kmaq de la Première Nation Ugpi’Ganjig, nous parle de la vie et des expériences de sa mère avec un trouble neurocognitif et de l’héritage qu’elle a laissé.
"Ma mère était autrefois une icône partout au Canada, aux États-Unis et même à l’étranger. Elle s’est battue pour son héritage, sa culture, ses croyances et son mode de vie. C’était une forte lnu e’pit [« femme mi’kmaq » en mi’kmaq]. Elle est la première de sa réserve d’Eel River Bar à avoir obtenu son diplôme avec grande distinction.
Elle a été la première cheffe élue dans la province du Nouveau-Brunswick. Elle était une ardente défenseure de l’enseignement de la langue mi’kmaq dans les écoles pour que les enfants d’Eel River Bar connaissent leur identité. Elle espérait renouer les liens qui avaient été rompus à cause des pensionnats et en guérir les conséquences sur la réserve.
Je me souviens que je devais aider ma mère à reconnaître certaines personnes quand elle a commencé à présenter des signes de troubles neurocognitifs à début précoce. On riait toujours du fait qu’en vieillissant, on oubliait des visages, des lieux et des choses. En tant qu’lnnues, nous connaissons bien les petits êtres rusés qui jouent des tours et nous cachent des choses jusqu’à ce qu’on les oublie. Nous appelons ces petits êtres les Booglatamootj.
J’ai appris très tôt à pallier les problèmes de ma mère en identifiant les personnes ainsi que les lieux et les choses auxquels ils étaient reliés pour l’aider à rafraîchir sa mémoire. Ce fut pour moi un grand honneur de connaître les personnes de son entourage pendant ses années d’engagement dans l’Union of New Brunswick Indians et dans les divers conseils et associations. Les pow-wow, les rassemblements et les conférences étaient l’occasion de se rencontrer, de se saluer, d’échanger et de réfléchir à des idées, tout en nous rappelant qu’il ne nous appartient pas de conserver pour nous ce que nous apprenons, mais plutôt de le transmettre. C’est le cercle de la vie.
Lors des divers rassemblements et réunions, on recherchait sa sagesse et sa présence. C’était après ces rassemblements qu’elle me demandait qui étaient certaines des personnes participantes, et on en riait. Elle parlait à tout le monde comme si elle les connaissait; la voix de chacun et chacune comptait à ses yeux. Elle savait écouter, et j’ai hérité de cette capacité à prêter une oreille attentive.
On devait plusieurs fois lui rafraîchir la mémoire avant qu’elle ne se souvienne d’une personne et de la relation qu’elle entretenait avec elle. On en riait tout simplement, et on disait : « Nous ne sommes pas perdues, nous prenons simplement un chemin différent pour parvenir à destination. » Une de ses remarques fétiches : « Eh bien, nous y sommes! Mieux vaut tard que jamais. »
« Nous devons nous informer sur les troubles neurocognitifs pour connaître les signes et symptômes et créer des ressources afin que nos Aîné·es respecté·es ne subissent pas de mauvais traitements. »
Je me souviens que je me levais souvent tôt pour me rendre à des réunions partout en Amérique du Nord. On nous appelait « les voyageuses ». Ma plus jeune fille, Jenna, voyageait avec nous la plupart du temps.
Quelqu’un devait emmener ma mère, car elle n’a jamais eu de permis ni de véhicule, alors tous les frères et soeurs, nièces, neveux et même le chef la conduisaient aux réunions. Elle était toujours occupée avec ses métiers d’art et elle vendait ses créations à chaque événement pour tenter d’entretenir le feu de l’artisanat Apitjipeg. C’était son lien avec son cycle de vie.
Notre famille et toute notre communauté ont eu la chance d’apprendre de son approche pratique pour pouvoir la transmettre à la génération suivante. C’est une grande fierté de pouvoir rendre hommage à ses ancêtres du passé, du présent et du futur.
Nous sommes tous et toutes en relation dans ce cercle de la vie. Notre voyage commence à la naissance, se poursuit à l’adolescence, à l’âge adulte et durant notre vieillesse. Nous devons nous informer sur les troubles neurocognitifs pour connaître les signes et symptômes et créer des ressources afin que nos Aîné·es respecté·es ne subissent pas de mauvais traitements. »
Adapted from the Native Women’s Association of Canada’s A Sacred Journey with the permission of Native Women’s Association of Canada and Beckie Labillois.
Photo : Avec la permission de Beckie Labillois et de Vanessa Blanch/CBC Licensing.