Le monde ne s’arrête pas quand vous êtes atteint de la maladie d’Alzheimer : l’histoire d’Isabel et de Michael (suite)
En 2019, Michael Phillips nous a livré son témoignage et celui de sa femme Isabel, qui a reçu un diagnostic de maladie d’Alzheimer en 2011. Maintenant, trois ans plus tard, Michael nous revient pour nous donner des nouvelles d’Isabel et nous expliquer les difficultés auxquelles ils ont été confrontés pendant la pandémie.
Vers la fin de 2019, après avoir pris soin d’Isabel à la maison pendant près de 10 ans, j’ai réalisé que je ne pouvais plus lui offrir les soins dont elle avait désormais besoin. J’ai suivi les conseils de notre gériatre et j’ai décidé de la placer dans un établissement de soins de longue durée (SLD). Facile à dire… pas facile à faire.
Le jour où Isabel a perdu son permis de conduire il y a 10 ans a été le pire jour de notre vie. Le deuxième, c’est quand je l’ai laissée, seule, dans l’établissement de SLD. Lorsque nous nous sommes dit au revoir de part et d’autre de la porte vitrée, les larmes nous embrumaient les yeux.
C’était le 20 août 2019. Depuis, Isabel a connu quatre établissements de SLD différents, et j’ai traversé la pandémie en laissant l’autorité sanitaire aux commandes de notre situation.
Les deux premiers établissements de soins de longue durée
Les trois premiers mois ont été tout à fait normaux et les visites dans ce premier établissement se sont déroulées sans difficulté. Cependant, en décembre 2019, nous avons décidé de la placer dans un meilleur endroit, sachant très bien que ces déménagements peuvent être problématiques.
Heureusement, elle s’y est installée assez facilement. Nous avions déjà pris des dispositions par l’intermédiaire de notre autorité sanitaire provinciale pour avoir un gestionnaire de cas, car il était nécessaire de faire évaluer son état de santé avant qu’elle ne figure sur la liste d’attente des établissements de soins publics. Finalement, son nom a été placé sur la liste — et on nous a dit que le temps d’attente serait d’un à deux ans!
À ce moment-là (nous étions alors en mai 2020), deux choses se sont produites.
La première, comme vous le savez, est que la COVID-19 est arrivée en Colombie-Britannique; elle s’est bien sûr accompagnée de la confusion et du stress des règles et des restrictions pour y faire face.
La deuxième chose est qu’Isabel a fait une chute, sans que personne ne soit présent, et elle s’est cassé la hanche. À cette époque, elle était encore assez mobile et n’avait aucune difficulté à marcher sans soutien. Une chute comme celle-ci était donc potentiellement dévastatrice.
Isabel a été emmenée à l’hôpital où elle a été immédiatement opérée, puis elle est restée un mois en convalescence.
Le séjour à l’hôpital : plus d’obstacles, mais aussi des nouvelles positives
Cependant, les mesures de protection contre la COVID-19 ont entraîné toutes sortes de restrictions, de règles et de règlements tandis que la province commençait à faire face à cette situation. Cela a entraîné de nombreux problèmes administratifs pour la régie provinciale de la santé et de nombreux problèmes pour notre famille.
J’ai été autorisé à me rendre à l’hôpital, mais seulement sur rendez-vous et seulement pour un temps limité. Rendre visite à Isabel à l’hôpital a été un véritable parcours du combattant et seulement ma fille et moi pouvions nous y rendre.
Cependant, malgré ces problèmes, il y avait de bonnes nouvelles : Isabel et moi sommes devenus les arrière-grands-parents de notre première arrière-petite-fille, Charlotte Isabel! En trouvant des moyens d’être flexibles, nous avons contourné les restrictions et avons fait sortir Isabel de l’hôpital, où elle a pu rencontrer notre famille et rencontrer son arrière-petite-fille.
Finalement, après un mois de soins postopératoires et de rééducation, l’hôpital a jugé qu’Isabel était apte à bouger, même si le risque de chute restait encore élevé.
Un défi inattendu se présente
Puis un autre problème est survenu. Alors qu’elle était à l’hôpital, son nom a, pour une raison inexpliquée et à notre insu, été retiré de la liste des établissements de soins publics! Par conséquent, son nom s’est retrouvé bien en bas de la liste des priorités des établissements de SLD.
Je n’ai pas compris comment cela a pu se produire — et je ne comprends toujours pas. La gestion de la liste d’attente a toujours été un peu mystérieuse. Isabel a fait des évaluations à plusieurs reprises pour s’assurer qu’elle réponde aux critères de placement. Mais nous n’avons jamais su où elle figurait réellement sur cette liste. Évidemment, c’était important d’être sur la liste, sinon on aurait continué à payer des frais exorbitants dans un établissement privé.
Vous comprendrez certainement ce que j’ai ressenti après avoir appris que son nom avait été retiré de la liste des établissements de soins publics — alors qu’elle était encore à l’hôpital! — J’étais furieux. Il est incroyable que l’autorité sanitaire fasse une telle chose à un moment où le besoin est aussi important sans nous donner aucune explication.
La communication était épouvantable; impossible de savoir qui avait pris cette décision. Encore plus incroyable : personne n’avait de recommandation, pas même de suggestion, sur ce que nous devions faire ensuite. Nous étions vraiment livrés à nous-mêmes.
Ensuite, ma colère s’est transformée en frustration. C’était à nous, la famille, de trouver un placement approprié pour Isabel. Malheureusement, l’établissement où elle se trouvait auparavant a refusé de la reprendre, car leur politique interdisait l’utilisation de mesures de contention et ils n’avaient pas assez de personnel pour la protéger.
Le troisième établissement de soins de longue durée
Puisqu’elle présentait un risque de chute si élevé, peu d’établissements de SLD étaient prêts à l’accepter et à lui fournir les soins nécessaires. Imaginez être dans cette situation : on ne pouvait pas expliquer la situation à Isabel, ce qui l’a vraiment bouleversée. Ce fut une période très éprouvante pour moi, pour ma famille et pour Isabel. Franchement, nous n’avons reçu aucun soutien de notre système médical. Cette expérience m’attriste encore.
Que faire? Eh bien, nous avons finalement trouvé un établissement de SLD privé convenable prêt à accepter Isabel et à lui fournir un endroit sûr pour qu’elle récupère. Nous avons insisté sur le fait que nous voulions qu’elle remarche et qu’elle avait besoin d’une physiothérapie.
Elle en avait suivi une à l’hôpital, mais ce n’était pas une priorité pour le personnel là-bas. Les mesures de protection contre la COVID-19 ont compliqué les choses, ce qui a empêché Isabel de recevoir plus d’attention.
Le déménagement dans le nouvel établissement a été assez traumatisant pour notre famille, et particulièrement pour Isabel. À ce moment-là, la COVID-19 battait son plein et l’établissement appliquait les restrictions et les mesures de protection provinciales de manière très stricte.
Au départ, je n’étais pas autorisé à me rendre dans ce nouvel établissement et il m’a fallu des semaines avant que notre demande de statut de « visiteur essentiel » ne soit accordée. Isabel, entre-temps, a été présentée à de nouveaux visages inconnus dans un nouvel environnement. En l’absence de personnes qui la connaissaient et de personnes sur qui elle pouvait compter pour la réconforter et la soutenir, elle a réagi de manière agressive lorsque son état a décliné.
Il est vite devenu évident que cet établissement de SLD ne souhaitait guère l’aider à remarcher. Nous avons été inflexibles et avons engagé un physiothérapeute privé pour nous aider dans cet effort. Nous avons même dû enfreindre les règles à l’occasion pour qu’Isabel reçoive l’aide nécessaire.
Notre persévérance a finalement payé et elle a remarché sans assistance. Nous savons que c’est une réussite rare, et ça en dit long sur son courage et sa détermination.
Le quatrième établissement de soins de longue durée
Enfin, en novembre 2020, on nous a proposé une place dans un établissement public de SLD. Dieu merci! Ce fut son dernier déménagement.
Bien sûr, la pandémie était toujours un facteur énorme et nous avons dû suivre la même procédure : demander (ou plutôt « mendier ») le statut de visiteur essentiel pour ma fille et moi.
On nous a souvent refusé ce statut et nous ne pouvions rendre visite à Isabel qu’à travers les doubles fenêtres de l’établissement. Cette situation était vraiment stressante et douloureuse pour Isabel et notre famille; nous avons rapidement abandonné cela.
L’interaction sociale est vitale pour le bien-être des personnes vivant avec la maladie d’Alzheimer. Des chercheurs ont découvert que l’un des facteurs de risque des troubles neurocognitifs est l’isolement social . Pourtant, à maintes reprises, nos demandes de visite nous ont été refusées.
Finalement, en désespoir de cause, nous avons contacté le Bureau du défenseur des aînés qui a soutenu notre demande. Soudain, nous avons obtenu le statut de visiteur essentiel et de visiteur désigné et nous avons été autorisés à rendre visite à Isabel.
L’ensemble du processus d’obtention de ce statut a été difficile au-delà des mots — et, malheureusement, cela continue d’être le cas pour des milliers de personnes. Les règles de protection contre la pandémie du ministère de la Santé changent fréquemment, puis sont interprétées différemment par chaque établissement de SLD. La seule approche qui a fonctionné? Se plaindre sans arrêt.
« De retour à la normale »
Malgré nos efforts, l’état de santé d’Isabel a continué de se détériorer. Et — encore une fois — il a empiré.
Au début du printemps de cette année, Isabel a contracté la COVID-19. De plus, sa chambre a été fermée et elle a été placée en isolement. Je pouvais encore lui rendre visite, mais j’étais confiné dans sa chambre et je ne pouvais même pas l’accompagner jusqu’à une terrasse lumineuse et ensoleillée à une distance de 20 pieds seulement.
Il était (et il est encore) difficile de comprendre pourquoi, alors que le reste du pays était presque « de retour à la normale », les établissements de SLD ont recommencé à utiliser les mêmes contraintes et restrictions qu’ils avaient instaurées au début de la pandémie. J’aurais pensé qu’ils se seraient plutôt adaptés et qu’ils auraient trouvé d’autres façons de soutenir Isabel et ses besoins en tant que personne touchée par la COVID-19 et la maladie d’Alzheimer.
Finalement, vers la fin du mois de mai, son établissement de SLD a été déconfiné.
Bien qu’Isabel ait pu se remettre de ses symptômes de la COVID-19, elle a été considérablement affaiblie par l’expérience. Elle est maintenant confinée dans un fauteuil roulant, incapable de se tenir debout ou de marcher. Et sa maladie d’Alzheimer a progressé au point où je ne suis pas sûr qu’elle se souvienne de qui je suis.
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Nous défendons encore fortement le soutien aux personnes vivant avec la maladie d’Alzheimer ou un autre trouble neurocognitif. L’année dernière, en 2021, Isabel et moi étions les lauréats de la région de Victoria de la campagne la Marche pour l’Alzheimer IG Gestion de patrimoine, et nous avons utilisé cela comme un levier pour recueillir plus de 6000 $ pour aider d’autres personnes touchées par ces maladies.
De plus, je continue de chanter dans la chorale Voices in Motion dirigée par la Dre Debra Sheets. Bien qu’Isabel ne soit plus en mesure d’y participer, nous l’avons emmenée à notre concert en décembre 2021. Ce fut sa dernière sortie; elle est maintenant trop faible pour voyager en voiture.
Je suis si content d’avoir fait ce que nous avons fait, au moment où nous l’avons fait. C’est vrai que le monde ne s’arrête pas de tourner quand on a la maladie d’Alzheimer… mais tout devient quand même plus difficile.
Mise à jour: Malheureusement, le parcours d’Isabel a pris fin le 1er octobre 2022. Elle a mené un long et courageux combat contre la maladie d’Alzheimer. Elle est décédée avec les membres de sa famille à ses côtés et vit maintenant dans un meilleur endroit. Nous essayons de ne pas pleurer sa perte, mais plutôt de sourire et de nous réjouir de la vie qu’elle a menée.
Vous pouvez faire une différence
Partout au Canada, des centaines de milliers de personnes vivant avec un trouble neurocognitif et leurs partenaires de soins, comme Isabel et Michael, font face aux défis uniques imposés par ces maladies — des défis qui ont été exacerbés par la pandémie de COVID-19.
De plus, de nouvelles recherches nous indiquent que les troubles neurocognitifs continueront d’être un problème croissant au Canada. On projette que le nombre de personnes touchées devrait tripler au cours des 30 prochaines années. Si les tendances actuelles se maintiennent, toutes les régions au pays connaîtront une augmentation spectaculaire du nombre de personnes touchées et des exigences imposées aux partenaires de soins.
La voie à suivre est claire : le Canada, à tous les paliers du gouvernement, doit améliorer la qualité des soins et élargir le soutien aux personnes vivant avec un trouble neurocognitif dès à présent, pour que le cheminement de personnes comme Isabel se fasse aussi bien que possible.
Reconnaître les besoins particuliers des personnes vivant avec un trouble neurocognitif; fournir des soutiens sociaux aux partenaires de soins; et accroître notre capacité en matière de soins à domicile, de soins communautaires et de longue durée axés sur les troubles neurocognitifs — ces améliorations, ainsi que d’autres recommandations, peuvent changer le cours des choses au Canada.
Découvrez ces recommandations et bien d’autres dans notre premier rapport de l’Étude marquante : Les troubles neurocognitifs au Canada : quelle direction à l’avenir?