L'histoire de Jana
Jana Schulz est travailleuse sociale et ancienne représentante régionale des femmes de la région 4, Métis Nation British Columbia. Elle est également ancienne présidente de la Rocky Mountain Métis Association. Elle nous parle ici de son père, qui est Métis et qui vit avec la maladie d’Alzheimer.
"Mon père est Métis. Il est né à Edmonton, mais il a passé la majeure partie de son enfance et de sa jeunesse à Yellowknife. Après, il est allé à Hinton, et c’est là qu’il a rencontré ma mère, qui est d’origine européenne. Mon père travaillait à l’usine de pâte à papier. Ensuite, ils ont déménagé à Cranbrook.
Around 2015, might have even been 2014, my dad and my husband were building a fence. And my dad was a drafting engineer. But he could not figure out the right horizontal and vertical measurements. Basically, he was putting the gate on backwards.
Vers 2015, peut-être même 2014, mon père et mon mari construisaient une clôture. Mon père était ingénieur dessinateur, mais n’arrivait pas à prendre les bonnes mesures horizontales et verticales. En réalité, il construisait la clôture à l’envers.
Après avoir remarqué certaines choses comme l’incident de la clôture, j’en ai parlé à son médecin et demandé à ce qu’il passe un examen. Mais il en a conclu : « Cela fait partie du vieillissement normal. Il y a un certain déclin, mais vous savez, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. » Je me suis dit : « Non, il y a autre chose. » Ma mère a commencé à noter certaines choses que nous avons également mentionnées au médecin, et mon père a été orienté vers un nouveau médecin qui a rendu son diagnostic de maladie d’Alzheimer en 2016.
Mon père n’a jamais vraiment été impliqué dans sa culture, mais il s’est impliqué beaucoup plus au cours de ces dernières années, pendant sa maladie d’Alzheimer. Je n’oublierai jamais la première fois où il a dit à un prestataire de soins de santé : « Je suis Métis. » Je me souviens que ses paroles me sont allées droit au coeur. Le fait qu’il racontait des histoires sur sa culture alors qu’il n’en parlait pas auparavant me rendait fière.
Le coût de la prestation de soins est énorme, cependant. J’ai perdu environ 50 000 $ de revenu annuel et je suis passée sous le seuil de pauvreté en devant passer d’un emploi à temps plein à un emploi à temps partiel (à distance). La maladie de mon père a progressé plus vite que le système de santé ne pouvait suivre, et je voulais mieux soutenir ma mère pour qu’elle puisse s’occuper de mon père sans se surmener. Quand ma mère disait qu’elle avait besoin de répit, j’allais chercher mon père. Je l’emmenais dans la nature, juste pour marcher. Ça le calmait vraiment.
Et j’ai commencé moi-même à faire des recherches sur « l’aspect métis » [dans les soins aux personnes vivant avec un trouble neurocognitif ]. Mais, tout ce que j’ai pu trouver était basé sur les Premières Nations, avec une optique des Premières Nations. Comment offrir des soins en adoptant une perspective métisse? Pour cela, il faut mener des recherches.
Maintenant, mon père est dans un établissement de soins de longue durée. Je sais que le personnel travaille très fort là-bas. Je réfléchis à la façon de changer les soins de longue durée, les soins à domicile ou les soins communautaires, car il reste encore beaucoup à faire. Par exemple, accrocher une ceinture métisse quelque part, même si elle est encadrée. Adapter la nourriture. Rendre l’espace moins institutionnalisé.
La perspective métisse se résume à l’établissement de relations. Dès l’admission d’un membre de la famille dans un établissement de soins de longue durée, il faudrait parler de la façon dont on ressent le besoin de faire partie du plan de soins — parce que je ne suis pas seulement une proche aidante, je suis membre de la famille. Une cousine, une tante, une soeur, ou un autre membre de la communauté devrait également pouvoir lui rendre visite… tout comme les aîné·es. Mais le modèle occidental de la famille [colonial, nucléaire] utilisé dans tant d’environnements de soins empêche vraiment tout type de guérison traditionnelle.
« Nous ne verrons peut-être pas de changement dans les soins du vivant de mon père, mais si je peux faire en sorte que les générations métisses après moi aient de meilleurs soins, j’aurai rendu mes ancêtres fiers et fières. »
J’ai fait preuve d’audace en parlant de la situation à l’établissement de soins de longue durée de mon père, et ça a changé la donne. J’y ai dirigé deux formations — plusieurs membres du personnel y ont participé — où j’ai abordé la perspective autochtone, puis j’y ai ajouté la perspective métisse. On a aussi parlé de traumatisme intergénérationnel.
J’ai clairement indiqué que je voulais participer aux soins de mon père. Si mon père se réveille à 2 heures du matin et perturbe tout l’étage, pourquoi ne pas m’appeler et me dire : « Hé, tu peux venir? » Tout le monde rit parce qu’à chaque fois que je suis là, il s’endort. Je ne sais pas pourquoi ça le calme, mais ça marche!
Ça m’a aidée de prendre la parole et de défendre les intérêts de mon père. Avant, j’étais épuisée et j’étais en colère. J’étais en colère contre le système, et j’étais prête à quitter mon emploi. Maintenant, ma voix compte. Je le savais avant, mais maintenant les bonnes personnes écoutent. En même temps, quand on me demande de me pronconcer, je réponds toujours : « Est-ce que je suis simplement une représentation symbolique, ou voulez-vous vraiment mon avis? »
J’aimerais avoir plus de discussions sur la stigmatisation entourant les troubles neurocognitifs dans ma communauté : un endroit où je pourrais parler de mes peurs d’un point de vue culturel spécifique et utiliser des remèdes traditionnels. Encore une fois, il existe d’excellentes ressources, mais elles sont très axées sur les Premières Nations, comme l’utilisation de la roue de médecine alors que dans ma communauté, nous ne la suivons pas nécessairement.
Ma mère m’a toujours traitée de « fautrice de troubles ». Et je le suis. Je pense qu’on fait changer les choses en ayant des conversations difficiles. Mais je ne m’attends pas à un changement du jour au lendemain. Nous ne verrons peut-être pas de changement dans les soins du vivant de mon père, mais si je peux faire en sorte que les générations métisses après moi aient de meilleurs soins, j’aurai rendu mes ancêtres fiers et fières.
Même si le cheminement avec les troubles neurocognitifs est difficile, blessant et brise le coeur et l’esprit, je crois que tout le monde emprunte une voie particulière pour une raison particulière. Mon père ouvre la voie aux Métis·ses qui viendront après lui. Pour moi, cela me remplit d’amour et de gratitude parce que je sais que nous laissons un héritage. »
Photos : Avec la permission de de Jana Schulz et de sa famille.